Les illustratrices du Collectif Mechta dévoilent les charmes et travers de leurs quotidiens
Eunice Tchitchiama | Illustration | 02.03.21
Le collectif Mechta, c’est la rencontre de six artistes-illustratrices, Anna Benarrosh, Ibticem Larbi, Tracy Chahwan, Calixte Bernard, Merieme Mesfioui et Anissa Zrioui. Leurs illustrations mettent en lumière les charmes et travers de leurs quotidiens, grâce à leurs univers graphiques singuliers et leurs personnalités hautes en couleur. Basées entre Paris, Montreuil, Philadelphie, Angoulême et Créteil, leur collaboration défie la distance. Ce jeune collectif qui s’organise en mixité choisie, aspire à construire un espace de création safe, bienveillant, et à mettre en avant le talent des groupes minoritaires. Ensemble, elles réalisent affiches, expositions, fanzines et ont participé, en décembre dernier, aux puces de l’illustration, organisées par le Campus Fonderie de l’image. Si aujourd'hui la poursuite de leur collaboration, avec de nouveaux projets en perspective est évidente, il est difficile d’imaginer qu’il y a à peine un an, elles ne se connaissaient pas.
Tout commence en mars 2020. Alors que la France vit son premier confinement, les temps sont durs pour les créatif.ve.s. Entre les projets reportés, annulés ou déprogrammés, tout se bouscule. Une nouvelle routine se met en place et chacun.e tente tant bien que mal de s’y faire. Quand certain.e.s expérimentent pour la première fois les joies du télétravail et ses dérives, d’autres saisissent cette opportunité pour faire une pause. Et puis, il y a celles et ceux qui tournent tout simplement en rond. Il faut se le dire, réussir à exprimer sa créativité lorsque l’on se sent seul.e, coincé.e ou à l’étroit n’est pas chose aisée pour tout le monde. Pourtant, Ibticem, Calixte et Anissa me racontent que c’est, curieusement, dans ce contexte qu’est né le Collectif Mechta.
Dans ce climat pesant, Anna décide de combattre l’ennui et l’isolement. Et quoi de mieux pour ça que de faire de nouvelles rencontres ? C’est avec cette idée en tête qu’elle constitue un groupe de discussion Instagram avec des illustratrices, certes qui ne se connaissent pas, mais dont elle admire le travail. Mais attention ! Distanciation sociale oblige, les créatrices font connaissance par vidéoconférence, échangent et laissent doucement s’installer la confiance. Puis elles décident toutes ensemble de se lancer un défi : créer une affiche sur le thème du confinement. Pour se divertir, à la manière d’un cadavre exquis, elles réalisent, chacune de leur côté, un dessin immortalisant cette période si particulière. Anissa m’explique que c’était comme un jeu : « On avait un thème et on attendait trop de voir les dessins des autres filles. Tu avais l’impression d’être retournée à l’école primaire quand tu faisais des échanges de dessins. ». Visiblement, ce jeu graphique leur réussi puisqu’au moment de les rassembler, la magie opère. Au-delà de l’excitation et de la curiosité qui les animent, elles ont le plaisir de se découvrir des affinités et sensibilités communes. Calixte me parle de connexion, de cette chose qui ne s’explique pas, mais qui est perceptible dès leur première affiche « Je me présente molotov ».
Je me présente molotov, 2020 ©Collectif mechta
La force du collectif Mechta est de réussir à préserver leur dynamique de « dessiner ensemble juste pour le kiff ». En débutant leur affiche avec un thème interprété comme chacune le souhaite, elles garantissent le sens totalement libérateur de leur collaboration. Alors avec aisance et sans prise de tête, elles continuent d’affiches en affiches à se raconter. Sous la forme d’illustration-reportage, elles nous dévoilent leur routine et leur intimité, dans des dessins remplis de subtilités et de détails. Sous la douche, entre ami.es, à flâner sur le lit, entourées de leurs objets fétiches, elles exposent leur vision du monde, leur rapport au corps et leur environnement, en tant que jeunes femmes racisées. Au fil de leurs productions, elles confirment que leurs expériences personnelles apportent de la singularité à leur pratique créative, et n’hésitent pas à déverser leurs émotions dans celles-ci. Ibticem me dit : « À chaque fois, ça vient assez naturellement. Vu qu’on est toutes racisées, on parle beaucoup de la place de la femme racisée au niveau artistique. ».
On serait tenté.es de voir une forme d’engagement politique dans chacune de leurs productions, en réalité c’est plus complexe que ça. Lorsqu’une femme racisée se représente, une intention artistique peut vite devenir politique. Anissa l’explique bien : « Quand on a fait ça, on voulait se faire du bien et ne pas se prendre la tête, mais quoiqu’on fasse, ce que l’on fait est toujours un peu politique. Même quand on raconte juste notre routine, c’est super fort parce qu’on est peu représentée. ». Elles le savent : avec le peu d'illustrations interprétant la vie de jeunes femmes d’origine aussi diverses (tunisienne, marocaine, libanaise, camerounaise, française), l’action de dessiner leurs vécus devient un geste politique par le simple fait d’exister.
(Gauche) Objet fétiches, 2020 (Droite) Confinées dehors, 2020 ©Collectif mechta
Conscientes des enjeux de représentation qui les habitent, elles n’hésitent pas à les affirmer dans leur pratique. Elles me parlent avec fierté de leur exposition « Mechta x Echoracli », inaugurée en octobre 2020 dans l’espace 24 à Pantin, produite avec le collectif Echoracli, dont fait aussi partie Anissa. Les six illustratrices désiraient travailler avec cette branche non-mixte du média échobanlieu, composé de cinq femmes photographes issues de la banlieue parisienne. En pleine pandémie, ces deux collectifs ont mis sur pied, le temps d’un week-end, une exposition d’illustration et photographie. Le vernissage était en plus, accompagné de sessions tatouage, henné, et DJ sets 100% féminins. Sans oublier, une table ronde animée par Sonia Georges autour de la place de la femme dans la photographie et le dessin, ainsi que la nécessité du travail en mixité choisie (sans homme cis). Ce fut l’occasion de rencontrer les personnes qui les soutiennent et d’exposer leurs créations en dehors des réseaux. Finalement, elles ont réalisé un événement qui leur ressemble : tourné vers la rencontre de différents talents, festif et exploratoire du point de vue artistique.
Exposition Mechta x Echoracli, 2020 ©Collectif Mechta
Cette exposition leur a confirmé tous les avantages d’être en collectif. En plus de partager leur passion pour l’illustration, elles partagent leur monde, leurs capacités, leur réseau et c’est ce qui rend leur pratique si mouvante. En se motivant les unes les autres, elles avancent en « meute » et se donnent la force de construire ensemble, plus vite et plus grand. Elles façonnent un espace qui les encourage à sortir de leur zone de confort et les pousse dans des directions qu’individuellement, elles n’auraient pas explorées.
Cependant, même en travaillant en collectif, dans leurs créations, elles tiennent à conserver l'essence de la pratique personnelle de chacune. De façon astucieuse, les six illustratrices contournent cette problématique en utilisant principalement la risographie comme unificateur. Grâce au soutien du Hibou Print Club d’Angoulême, co-fondé par Merieme, elles assurent l’impression en risographie de toutes leurs créations. Ainsi, les couleurs et la texture réconcilient les multiples techniques utilisées et leurs univers graphiques variés. Ces femmes accomplissent avec finesse un travail d’équilibriste, jonglant entre l’espace pour nourrir leur individualité et l’harmonie collective.
On est pressé.e de suivre l’évolution de ce collectif solaire et en attendant leurs prochaines réalisations, vous pouvez les suivre sur Instagram @collectif.mechta ou vous rendre sur leur site https://collectifmechta.bigcartel.com pour vous procurer leurs plus belles affiches et/ou fanzines.
Cheveux, 2020 ©Collectif mechta
Mechta for Black Power, 2020 ©Collectif mechta
Gang de mchati, 2020 ©Collectif mechta